Eidos. Revista de Filosofía de la Universidad del Norte

ISSN electrónico 2011-7477
ISSN impreso 1692-8857
n.° 24, Enero-Junio de 2016
Fecha de recepción: 30 de mayo de 2015
Fecha de aceptación: 10 de junio de 2015
DOI: http://dx.doi.org/10.14482/eidos.24.7916


Le présent du temps*

Jean-Luc Nancy
Université de Strasbourgqs, Strasbourg, Francia

* Transcripción de la videoconferencia de Jean-Luc Nancy pronunciada en francés el 23 de octubre de 2014 entre las 9:00 a.m. y las 10:00 a.m., hora colombiana, en la Université de Strasbourg, transmitida y destinada al auditorio de la Universidad del Norte (Barranquilla, Colombia).

Note d'auteur: Cette conférence a été improvisée à partir de notes, car je ne voulais pas imposer un texte achevé et préférais ouvrir à des échanges. L'enregistrement a été transcrit avec beaucoup de soin par Mme Kendy Hoyos, que je remercie vivement. J'ai rétabli ce qui était nécessaire pour une compréhension correcte, mais sans chercher à dissimuler l'oralité avec ses hésitations et ses approximations.


Resumen

El problema del presente es abordado en su dimensión de realidad dada al hombre. En primer lugar, este articulo ahonda en el carácter impersonal del tiempo y en su condición contradictoria de lugar de entrega de lo dado: al presentarse el presente no hay ni donador ni beneficiario. En segundo lugar, declinando el sentido de la palabra francesa "maintenant", se evidencia el "ahora" como nulidad entre pasado y futuro; como intersticio dual en el que se alcanza y se pierde toda cosa. Apoyándose en la concepción kantiana del tiempo y en la noción de donación de Derrida, el autor indica que el "ahora" es receptividad inmediata, intuitiva y no conceptual: en el presente el hombre se da y se recibe a si mismo. El presente, a la vez que constituye el espacio de la identidad, es también vector de diferencia: al hacerse signo a si mismo de sí mismo, el presente aparece como su propia alteridad. La duración del presente, por expresar la relación del hombre consigo mismo, es signo de alternancia entre llegada y partida; entre muerte y reparación. En fin, se analizan las mutaciones del sentido que se le ha dado a la noción de promesa en la historia de Occidente, entendida como la experiencia de la proyección del ahora hacia el porvenir.

Palabras clave: presente-mano-tiempo-ahora-donación.


Abstract

The problem of present is analyzed as a reality given to man. First, the impersonal character of time is studied in its contradictory condition of opening place of giving: when present appears, there is not a giver, nor a receiver. In the second place, by considering the etymological sense of the French word "maintenant", it is showed that the "now" is a nullity between past and future, a dual interstice in which everything is reached or lost. Following the Kantian conception of time and the Derridian notion of "donation", the author highlights that the "now" is immediate receptivity, intuitive and not conceptual: in the present, man gives himself to himself and receives himself from himself. The present, at the same time that it constitutes the space of identity, it is also the vector of difference: when it becomes a sign to himself of himself, the present appears as his own alterity. The present duration, as it traduces the relation of man with himself, is a sign of alternation between coming and leaving; between dead and reparation. Finally, the mutations in the meaning of the notion of "promise" in Western history are investigated and understood as the experience of the now projected towards the future.

Keywords: present, hand, time, now, donation.


LE PRÉSENT DU TEMPS

... Ou ... En tout cas pas un jeu mais une... une amphibologie, pour parler comme Kant.

Le présent du temps ça peut vouloir dire le temps présent, le nunc, le hic et nunc ou le nun d'Aristote, en français le «maintenant», en Espagnol ahora. Mais, d'autre part, le présent du temps, cela peut vouloir dire le cadeau du temps car un présent c'est... c'est un mot un peu recherché, un peu élégant en français pour dire un cadeau, je crois un regalo en espagnol, a gift en tout cas en Anglais; Gift, c'est-à-dire un mot... un mot anglais de la même famille que l'allemand geben: «donner» d'où vient la formule, la phrase allemande esgibt : «ça donne», c'est-à-dire... que nous traduisons en français par «il y a»:es gibt «quelque chose».

Es gibt c'est la locution que Heidegger emploie pour parler du Temps et de l'Etre ou de Temps ou de l'Etre; es gibt sein: «il y a l'Etre» ou «de l'Etre», es gibt zeit: «il y a le Temps» ou «du Temps».

Dans ce sens du «donner», du geben — es gibt ça donne: «il y a du temps» ou «il y a le temps» en allemand c'est une... c'est une phrase qui en quelque sorte n'a pas de véritable sujet. Le... le es, le «ça» comme en français le «il» de «il y a» n'est pas un sujet indépendant. C'est la même chose que de dire le temps se donne.

Donc es gibt en allemand «ça donne», c'est comme par exemple, «il pleut» en français. «Il pleut» c'est «personne ne pleut»; je ne sais pas comme on dit «il pleut» en espagnol mais peut-être c'est possible de cette formule qu'on appelle impersonnelle: il n'y a pas de personne, il n'y a pas de sujet mais «ça pleut»... «ça pleut»; ou bien autre chose par exemple : «il est tard» ou etc. Donc c'est que ça a lieu et ça départ un sujet qui le fait.

Voilà!... voilà! Le point de départ, si vous voulez. Ce que je voudrais dire c'est que le temps... le temps n'est pas fait par un sujet, il n'est pas non plus lui-même un sujet, il est «que ça a lieu», «que quoique ce soit a lieu».

En ce sens, on peut dire, on doit dire avec Kant: tout est dans le temps sauf le temps lui-même. Mais si le temps lui-même n'est pas dans le temps, cela veut dire que. que le temps n'est pas quelque chose qui a lieu, ce n'est pas quelque chose qui arrive, ni quelque chose, ni quelqu'un; le temps c'est «que ça arrive», c'est encore en Allemand dass esgibtZeit, «que ça fait temps». -le temps c'est que... c'est que «ça se donne»... «ça se donne».

Or Derrida a analysé l'idée du «don» de façon à montrer qu'un don ne peut jamais être présenté comme tel car si je vous dis: voici un don, je vous fais un don. je vous donne cet objet, si je le présente comme «don», je montre qu'il y a un sujet du «don» et il y a un récipiendaire du «don», il y a un donateur et un donataire (en français) et il s'engage tout un processus qui revient à défaire le «don» comme donation, comme abandon, et qui en fait une relation de supériorité de l'un à l'autre, une relation d'obligation pour l'autre, une relation qui peut-être économique éventuellement. Toute la question du «don», du «don rituel», du potlatch et de ce qui Bataille en a tiré après la lecture de Mauss sur l'idée d'une économie de la pure dépense.

Tout cela consiste à ignorer, jusqu'à un certain point en tout cas, que dans le potlatch, il y a une quantité de relations symboliques, politiques, économiques, sacrées, hiérarchiques qui sont mises en jeu. Le «don». le «don», au contraire, le «don» qui ne s'annulerait pas, le vrai, le pur «don», ça serait un «don» qui ne serait pas présenté ni non plus présentable en tant que tel.

Ce que je voudrais essayer de dire c'est que justement le présent du temps, le temps présent, le «maintenant», le ahora est «don» au sens du «ça donne», «il y a don», «ça donne», «ça. ça se donne» mais sans se présenter comme «don», c'est-à-dire sans présenter ni donateur ni donataire.

Ne pas présenter et ne pas se présenter c'est exactement la caractéristique du présent du nun, du nunc, du jetzt, du now, du ahora et du «maintenant». Il ne se présente jamais: je dis «maintenant» et c'est déjà passé et autre chose est déjà venue.

Le «maintenant» —nous le savons depuis St. Augustin et même depuis Aristote à travers St. Augustin et jusqu'à Husserl si on veut—, le «maintenant» est une nullité entre le passé et l'avenir. Mais qu'y a-t-il dans cette nullité? Il y a peut-être ce qu'indique le mot français de «maintenant». Je ne sais pas s'il y a d'autres langues qui ont un mot comparable, pour le moment je ne connais que le français qui est dans ce cas (même les autres langues latines, par exemple l'espagnol dit ahora, l'italien dit adesso). Mais «maintenant» vient du latin manu tenendo, c'est-à-dire tenendo, c'est le gérondif : tandis que je suis en train de tenir à la main, je tiens à la main, voilà! C'est «maintenant»; donc, le «maintenant», le présent c'est «au moment où je tiens en main».

Première remarque: il n'est pas question de don là, il est question plutôt de tenir, de garder, de «je tiens»... «je tiens». Mais justement, si cette tenue est la tenue du «maintenant», ça veut dire que dans l'idée du manu tenendo (en train de tenir dans la main) il y a l'idée que ça ne dure pas, que ça va être lâché, qu'entre la prise et le lâché c'est le «maintenant». Donc le «maintenant» c'est l'espace intime de la prise et du lâché.

Pourquoi? Parce que l'expression «maintenant», manu tenendo, implique que «tenir en main», ça n'est justement pas tenir de façon à garder sans lâcher, n'est-ce pas? «Tenir en main» c'est le moment ou l'instant de la main, de la main qui... qu'est-ce qu'elle fait la main quand elle tient quelque chose? Quand elle tient quelque chose, la main, c'est pour en faire quelque chose, par exemple pour écrire ou. ou bien justement pour le donner, pour donner l'objet qui est tenu dans la main. De toute façon la main n'est pas un lieu de garde, n'est pas. une demeure, n'est pas un lieu stable, n'est pas un lieu de conservation, la main est un lieu -elle n'est pas un lieu- ... la main concerne l'usage. Donc la main... la main... la main qui tient «maintenant», elle est, en tant que main, essentiellement celle qui fait signe vers ce qu'elle peut faire faire ou laisser faire à quelqu'un... et que donc elle va laisser, elle va abandonner. Je tiens maintenant pour que... quelque chose se fasse, arrive.

Donc, c'est ce que je dirais, le «maintenant», le temps présent c'est bien un présent au sens d'un «don». J'ai oublié de dire que si le mot présent en français —mais peut-être d'ailleurs aussi en espagnol et en tout cas je crois aussi en italien—, si le mot «présent» peut avoir le sens de «cadeau», c'est parce que le «cadeau» c'est ce que je présente, je présente le «cadeau», je «donne». je «présente», je le présente avec mes mains... dans mes mains, j'offre le «cadeau»... voilà. Par exemple, qu'est-ce qu'on représente dans l'adoration des Rois Mages? On représente les Rois Mages qui présentent à l'enfant Jésus, à la Vierge, à Joseph, qui présentent leurs «cadeaux», leurs «présents».

Le «présenté» du cadeau n'est pas un geste utilitaire —parce que je peux aussi faire un «cadeau» en posant le «cadeau» devant moi. Voilà, c'est un «cadeau» pour vous—, mais justement, je montre encore mon «cadeau» avec la main.

La présentation est le signe de ceci que je donne. Et bien, je dirais que si on revient au «maintenant temporel» -à ce moment de la main qui saisit et qui ouvre à une possibilité: d'usage, d'échange, de ce qu'on voudra...-, et bien on pourra dire que «le présent» c'est «le don du signe» ou «le signe qui se donne», sans du tout se présenter comme don, au contraire, rien n'est donné... Rien n'est donné au sens où là, maintenant, je ne reçois rien et je ne donne rien mais... il m'est donné —es gibt ou es ist mirgegeben (passé ou passif plutôt)—, il m'est donné, quoi? De faire signe, ou je dirais même, d'être signe. Dans le «maintenant» ma main tient au... au sens où elle. elle tient la possibilité de faire un signe.

Le présent du maintenant ce n'est pas un don que je fais mais c'est plutôt la. la main qui se tient elle-même et s'ouvre et fait d'elle-même, si on veut -c'est-à-dire de moi-, le temps, la possibilité du temps, l'ouverture du temps. Ce qui n'est pas dans le temps, à savoir, ce qui n'est pas la succession du temps et ce qui n'appartient pas non plus à la simultanéité; parce que mon «maintenant» maintenant est simultané de votre «maintenant», si vous voulez, mais jamais tout à fait absolument. D'ailleurs, peut-être que sur l'image que vous avez de moi, dans la vidéo, vous percevez un léger retard entre la parole et l'image (moi je le perçois quand j'ai l'image de retour). Et bien je dirais, mon «maintenant» ne peut jamais être le «maintenant» d'un autre, pas plus qu'évidemment, il ne peut être le «maintenant» d'il y a une minute ou une seconde, ni le «maintenant» de la minute ou de la seconde qui va venir.

Je veux dire que le présent du temps, c'est-à-dire à la fois le «maintenant», «ahora», est la tenue. la tenue qui a lieu dans le maintenant. Cette tenue qui est en même temps l'émission d'un signe, c'est cela le es gibt du temps, c'est-à-dire que le temps se donne comme le «signe» de ceci que je m'adresse à la possibilité d'un autre «maintenant», à partir d'un «maintenant» qui «a eu lieu».

Qu'est-ce-que cela veut dire chez Kant que de dire que le temps est la forme du sens interne, comme vous savez, la forme a priori du sens interne? Ce qui veut dire, comme vous le savez, la forme a priori de l'intuition... de l'intuition du sens... du sens interne, c'est-à-dire de l'intuition de nous-mêmes et de notre état intérieur. Que veut dire intuition chez Kant? Intuition veut dire saisie ou réception, réception totale, globale d'un ensemble; réception instantanée, c'est-à-dire, justement, dans le moment même, dans l'instant, dans la stase, dans l'interruption du temps qu'est le hors temps du «maintenant». Saisie donc et réception de quelque chose en totalité, de quelque chose qui ne se laisse pas analyser, qui ne se laisse pas conceptualiser, c'est ça que veut dire chez Kant l'opposition entre l'intuition et le concept.

Chez Kant l'intuition a priori n'a que deux formes: le temps et l'espace. Mais d'abord le temps, c'est-à-dire l'intuition du sens interne, comme dit Kant, c'est-à-dire le fait que je me reçois moi-même en train d'ouvrir la possibilité de la succession et en même temps, si on veut, de la simultanéité avec l'autre. De la succession et de la simultanéité de quoi? Justement de mon «maintenant», de... de moi-même, je suis à moi-même en train de m'ouvrir à un avenir; mais un avenir. un avenir veut dire essentiellement un autre présent en train de venir, un autre présent en train de se présenter, sur le bord de se présenter et qui se présente en effet, et qui en se présentant s'en va, disparaît (donc aussi un passé). Mais c'est précisément parce que dans le «maintenant», dans le présent du temps, je me reçois comme me faisant signe à moi-même de moi-même.

Au fond Kant dit quelque chose de très simple: si je ne pouvais pas, non pas me représenter intellectuellement, non pas me penser, mais me recevoir, alors «je» ne serais pas. Il s'agit profondément de la réceptivité, qui est la grande affaire de Kant. Si je n'étais pas «réceptivité» alors je ne pourrais pas me recevoir moi-même, et c'est là que je dis que Kant dit quelque chose au fond de très simple et qui n'est peut-être pas très différent de certaines choses que dit Augustin sur le temps. Il va dire que: comment pourrais-je être moi-même, si je ne me recevais pas comme étant le même que j'étais et m'attendant à moi-même, me projetant (projetant est un mot déjà un peu trop fort parce que je ne peux pas, ce n'est pas tout à fait une projection; mais tout à l'heure on va venir à un autre mot, on va venir au mot de promesse), mais si je n'y suis pas pour le moment, simplement comment pourrais-je être moi-même si je ne m'attendais pas à être moi-même, si je ne me tendais pas vers moi en me recevant?

C'est pourquoi d'ailleurs, il n'est pas possible, comme dit Freud, de croire à notre propre mort, parce la mort veut dire «ne plus être soi-même». Donc le temps c'est, je dirais, c'est cela par quoi je suis donné à moi-même et je suis donné à moi-même, précisément comme cela qui se reçoit, donc qui est donné à lui-même mais sans que je puisse désigner aucun donateur, et donc sans que moi-même je puisse me considérer comme donataire.

Donc le «don», si vous voulez, pour dire encore un mot très rapide à propos de Derrida, je proposerais de dire, d'ajouter à Derrida, à ce que dit Derrida -en particulier dans «Donner le Temps»- que le «don impossible», c'est-à-dire dont on ne peut pas atteindre la pureté du «don» sous aucune forme de donation, d'objet, d'échange, etc., le don impossible c'est la possibilité même du temps -ou peut-être le temps «lui-même».

Le temps: ça se donne, ça me donne

C'est la seule façon d'échapper à la représentation, toujours tellement terrible dans notre tradition occidentale, qui est la représentation que nous sommes dans le temps, et que le temps s'en va et nous emporte avec lui, et que tout s'échappe, et que nous perdons toujours tout; comme si nous aurions dû ou comme s'il fallait que nous soyons immobiles dans l'éternité, hors du temps. Pour quoi? Pour ne pas être capables, pas du tout capables de nous recevoir comme nous-mêmes. Nous déplorons le temps qui nous emporte - mais c'est lui qui nous donne!

On pourrait dire Dieu, le Dieu éternel, unique, ne peut même pas être lui-même, pas plus d'ailleurs que... en tant qu'un, parce qu'en tant qu'un seul il est sa propre négation, comme dit Hegel. En tant que hors du temps, il est ou bien rien ou bien il est le temps lui-même. Mais le temps lui-même c'est justement le même qui se dit même; et pour qu'il y ait un même il faut que ce même se reçoive comme temps; et évidemment le «même», à ce moment-là, n'est pas l'identique, c'est l'identité avec sa différence; et le temps c'est ça; le temps c'est la différence de l'identité, c'est-à-dire que le «même» c'est toujours un autre qui altère le «même»; plutôt «le même» veut dire l'identique, altéré ou s'altérant... s'altérant tout simplement par le fait de se faire le signe de lui-même: j'étais, je serai et je ne serai plus; et c'est justement la limite à laquelle je ne peux pas prononcer, je ne peux pas dire: «je n'ai pas été», ou plutôt je peux le dire, mais ce «je n'ai pas été» n'est pas... n'est pas un temps mien; je ne me fais pas signe.

Donc, je dirais: le «maintenant», le présent du temps, le temps présent «maintenant» c'est, en effet la main, la main comme ... à la fois la métonymie et si vous voulez la métaphore de l'être tout entier, c'est la main qui se fait signe, qui se change en signe et qui, en même temps, se signale à elle-même, et qui donc. donc s'écarte d'elle-même; la main qui tient, il faut tenir, il faut qu'elle s'écarte et voilà! Cet écart de soi ressemble complétement à l'écart du... de l'instant, du Augenblick. En allemand, Augenblick veut dire «clin d'œil», et «instant»; c'est le mot que Husserl emploie pour caractériser le rapport de la conscience à elle-même dans sa parole silencieuse, dans sa voix... dans la voix silencieuse avec laquelle elle s'adresse à elle-même. Or, dans son analyse de Husserl -dans «la Voix et le Phénomène»-, Derrida s'arrête sur ce Augenblick, sur cet instant, sur ce clin d'œil, en disant «mais le clin d'œil a une durée», c'est-à-dire que ce que Husserl pense saisir comme une immédiateté, n'est pas, ne peut pas être une stricte immédiateté; dès qu'il y a rapport, il n'y a pas de pure stricte immédiateté.

J'ajoute ici par parenthèse: le rapport est absolument premier, primitif, archi-originaire, et c'est pourquoi d'ailleurs, peut-être, il n'y a pas non plus d'origine simple mais l'origine est elle-même déjà rapport, rapport de... de plus d'une chose donc, le rapport implique plus d'une chose.

Alors, maintenant demandons-nous quel signe nous faisons dans ce «maintenant»? Quel est le signe de la main? C'est-à-dire un signe du corps tout entier, mais le corps... le corps, c'est l'existence du Dasein, si vous voulez prendre le terme heideggerien? De quelle nature est-ce ce signe dans lequel, par lequel nous nous faisons temps, c'est-à-dire «rapport» à nous même? D'abord, je dirais que ce signe n'est pas un signe signifiant, ce n'est pas un signe de langage; c'est un signe —tout au plus on pourrait dire— de l'ordre du signal. Par exemple, c'est un signe de cet ordre: si vous me voyez immobile, complétement immobile sur l'écran, vous vous demandez si l'image s'est arrêtée, si le film, la vidéo s'est arrêtée ou si je suis paralysé ou si je suis mort debout.

Si je fais un petit signe de rien vous pensez: ah! Il bouge, il bouge... Qu'est-ce que c'est ce signe? Il y a un mot allemand, le mot Wink, qui signifie un salut, comme ça [geste de main] un salut, en particulier salut des enfants qui dit bonjour! Au revoir! Comme ça [geste de main] bonjour! Le Wink est tout à fait analogue au clin d'œil... au clin, vous le savez, le clin, c'est-à-dire (là je ne sais pas, si je peux bien vous le montrer sur l'image)... mais vous me voyez fermer l'œil [geste de main] comme on «fait de l'œil» (expression française pour un signal de séduction ou de complicité), comme on cligne l'œil pour faire un signal, un signal d'appel, d'invite ou de mise en garde, un petit avertissement. Mais c'est un signe qui est au-delà ou en deçà de la signification proprement dite.

On peut approcher un peu cette idée du Wink aussi par le mot anglais: twinkling, twinkling, qui veut dire justement «cligner de l'œil...cligner de l'œil»(fermer/ouvrir - un battement)... De même que le mot allemand Wink donne le Wink, donc [geste de main] du salut des enfants, il donne aussi le mot allemand ein Winken: un clignotant de voiture, ce qu'en français nous appelons «un clignotant», «un feu clignotant» [geste de main], c'est-à-dire les feux arrières et avants qui clignotent pour indiquer de quel côté on va tourner ou quand on est à l'arrêt ce qu'on appelle un warning. Certes le warning signifie, il signifie «je suis arrêté», mais il ne signifie pas plus, il ne dit pas pourquoi je suis arrêté. Il alerte, sans donner de raison.

Qu'est-ce que ça veut dire donc un Wink: un signe non signifiant. C'est signe qui signale «je suis là»... «je suis là, pas ailleurs»... je signale ma présence (mon présent?), je ne l'impose pas non plus, je. je ne l'avance pas, je ne la présente pas, en quelque sorte je ne la donne pas, donc je fais un clin d'œil de signal et j'ouvre une possibilité mais pas plus, pas plus. Donc, je dirais que c'est le signe du présent, c'est le signe de l'alternance: là/pas là, être là/ne pas être là, partir/venir, venir/partir, c'est tout.

Alors, peut-être que nous sommes déjà dans la double dimension du temps à partir du présent, à partir du «maintenant»; «je suis là» c'est déjà ouvert à une possibilité; «je ne suis pas là» c'est que alors j'ai été, mais c'est que je suis passé.

Il y a donc, si vous voulez, deux... deux postulations possibles de ce signe: ou bien «le rappel» ou bien «l'appel»; «je ne suis pas là», «j'ai été»: je rappelle que j'ai été, mais c'est passé. Qu'est-ce que ça veut dire que c'est passé? Ça veut dire justement que ce n'est plus là, que ça... que ça n'ouvre plus le temps, que c'est fermé, on dit «c'est perdu», mais c'est perdu, sauf que c'est en même temps «rappelé». Si je suis là et si je vous parle c'est que j'ai déjà été avant. Tout... tout le temps j'étais avant, toutes les années de ma vie qui ont précédées sont, en un certain sens, rappelées; elles sont perdues mais elles reviennent en tant que perdues, c'est-à-dire, soit comme souvenir soit comme oubli.

Quand Proust écrit «La Recherche du Temps Perdu», il fait tout ce qu'il peut pour faire revenir le temps perdu-, comme il dit mais dans la conscience très claire que justement ça ne peut pas revenir, ça n'a pas de sens, ça ne peut plus être présent, ça ne peut revenir que dans, je dirais dans ce «signe» de «signe» qu'est la littérature, l'écriture; écrire... écrire le souvenir de la madeleine par exemple —la fameuse madeleine, le gâteau que faisait la grand-mère de Proust—. Le rappel de la madeleine ce n'est pas le retour au présent de la madeleine, même si Proust mange une autre madeleine 20 ans plus tard, 30 ans plus tard et qui lui rappelle le goût, non! C'est précisément le signe de ceci que la madeleine est passée, ou le goût d'enfance de la madeleine est passé et c'est cet être passé qui peut être montré, mais pas seulement signifié, mais plutôt qui peut devenir une nouvelle intuition —je reprends le mot de Kant— au sens où l'être présent, l'existence présente de Marcel Proust est à nouveau remplie de ce goût de la madeleine qu'il mangeait quand il était enfant.

Et c'est là que se tient la complication extrême de ce signe par excellence du passé disparu qui est le deuil. Nous sommes dans le deuil de ceux qui sont morts et que nous avons connus, que nous avons aimés, avec qui nous avons vécu. Le deuil est unesorte de signe imprimé pour toujours -parce que les morts sont morts et sont partis, ils ne reviendront absolument pas- et c'est ça la douleur terrible du deuil. Mais en même temps, ou bien cette douleur terrible entraîne dans une mélancolie au sens le plus fort et le plus destructeur du mot -tel qu'on ne supporte pas le deuil et qu'on peut en devenir malade ou être conduit à se suicider, ou bien à se laisser mourir, c'est-à-dire justement à annuler le temps qui nous éloigne toujours plus du passé- ou bien au contraire , il se produit ce que Freud appelle un «travail du deuil». On peut trouver que c'est une expression un peu trop lourde et un peu trop productiviste, comme si on conseillait de faire un bon travail de deuil pour se débarrasser de la peine, de la perte. Cependant il est exact que nous pouvons, le plus souvent, surmonter la douleur de la perte. Peut-être peut-on parler autrement, laisser le mot «travail» et dire peut-être ceci que le deuil, le plus souvent, peut devenir un deuil du deuil lui-même, c'est-à-dire qu'on peut -tout en restant dans le rapport à la perte- recommencer à ouvrir le temps.

Quelle est la question quand quelqu'un est mort? La question est: «comment vais-je vivre sans lui, sans elle?» et si je vis c'est que ce «rappel» se fait «rappel» d'une certaine présence de l'autre; c'est-à-dire que quelque chose du temps, de l'ouverture du temps, du «don» du temps de l'autre, de son «maintenant», de son «signe» se... se refait, recommence à se faire.

L'autre façon que nous avons de faire signe du présent, l'autre façon dont le présent fait signe en nous, c'est alors «l'appel». «L'appel», mais qu'est-ce que ça veut dire? «L'appel» est un mot trop déterminé. «L'appel» c'est lorsque j'appelle quelqu'un, je dis à Juan, à Javier, Cristina «venez»: ça c'est un appel; et il y a une forme de «l'appel au temps», «du temps» comme «appel à venir» vers ce qui va venir, qui n'est. qui n'est pas justement la projection du futur, parce que si je projette le futur ça c'est une façon de. de mettre le futur dans le présent, de même que la mélancolie met le passé dans le présent (il y a une utopie qui est comme le symétrique de la mélancolie).

Or il y a une forme de «l'appel» qui, je crois, caractérise beaucoup notre civilisation occidentale: c'est la promesse... la promesse. Qu'est-ce que c'est que la promesse? La promesse ce n'est pas la prévision, ce n'est pas le... la projection future. Si... même si je me promets à moi-même d'aller demain voir tel spectacle, si je me le promets à moi ou que je le promets à quelqu'un d'autre... je sais très bien que cette promesse n'est pas une assurance, ce n'est pas tout à fait un engagement, ce n'est pas du tout un contrat. Je crois que nous savons tous très bien ce que c'est que la promesse par sa figure peut-être la plus fréquente, qui est pour nous la promesse d'amour. L'amour, pour nous, n'est pas pensable sans la promesse d'aimer toujours... (En français on dit «amour, toujours» pour faire résonner la rime...)

L'un des grands poèmes de l'Europe du IX siècle c'est le poème de Manzoni, en italien «I promessi sposi »: «les époux promis», ça veut dire «les fiancés ». Les fiançailles c'est la promesse du mariage, mais ce n'est pas le mariage. Et qu'est-ce que différencie les fiançailles du mariage? C'est que, en régime traditionnel et surtout religieux, les fiançailles on peut les rompre, le mariage, en principe, on ne peut pas le rompre.

Donc la promesse, la promesse c'est quelque chose qui se tient, je dirais, entre deux registres: entre le registre de l'engagement - parce que quand je dis «je promets de t'aimer toute la vie», je m'engage et l'autre ensuite a le droit de me reprocher si je ne l'ai pas aimé! Mais ce n'est pas un engagement de l'ordre du contrat. On pourrait même dire que le contrat est une façon de tuer la promesse parce que le contrat, je le signe et après on peut convoquer contre moi tout l'appareil du droit pour me faire respecter ma signature; mais respecter un contrat n'est pas tenir une promesse, nous le comprenons très bien.

D'autre part, la promesse c'est justement un signe... un signe, je dirais, qui ouvre un avenir mais qui ne le prévoit pas, qui ne le prédit pas, qui ne le programme pas; je dirais plutôt, la promesse c'est l'expansion d'un présent, d'un maintenant. C'est l'expansion la plus grande d'un maintenant. Et d'une certaine façon, on pourrait dire que nous sommes plus au moins toujours dans la promesse, dans une certaine promesse: maintenant, à chaque moment, je me promets de... de vivre, mais pas seulement de vivre, je me promets d'exister au sens fort, c'est-à-dire de... oui... de faire des choses, d'agir ou d'œuvrer. C'est l'expansion d'un présent qui s'ouvre... qui s'ouvre de manière indéfinie et même peut-être, faut-il dire, infinie.

Or, dans notre tradition occidentale, il y a deux grandes sources de la promesse et l'une est juive et l'autre est romaine. La source juive c'est la promesse faite à Abraham. Ce n'est pas par hasard que les trois religions abrahamiques (le judaïsme, le christianisme, et l'islam) sont, de manière très différente certes, des religions de la promesse. L'autre origine de la promesse est romaine. Il faut dire que Rome c'est la cité au sens le plus large, la cité qui était un monde en même temps, et qui se reconnaît comme ayant été promise à elle-même, comme on le lit dans l'Enéide de Virgile: Enée aux enfers trouve l'âme ou l'ombre de son père Anchise, et Anchise lui dit qu'il régnera sur un grand nombre de peuples. Il lui annonce l'empire, si vous voulez.

La promesse romaine est plutôt du côté justement d'un engagement quand-même, d'un accomplissement, d'une prédiction, une prévision. La promesse juive, la promesse abrahamique elle. elle n'est pas évidemment sans engagement bien sûr, c'est un engagement de Dieu envers Abraham mais c'est un engagement qui suppose la fidélité d'Abraham à Dieu, c'est-à-dire ce qu'on appelle l'alliance. Donc, c'est dans la mesure où je resterai fidèle à la promesse —encore non accomplie, et dont je ne verrai pas l'accomplissement— que la promesse elle-même aura lieu.

Avec le christianisme, il s'est passé une chose très intéressante, qui est à la fois, sans doute, une grande modification dans le sens de la promesse et aussi dans le rapport à l'histoire, parce qu'il ne faut pas oublier que... que le temps de l'histoire, tel que nous l'avons pensé jusqu'à ici, c'est-à-dire une succession plus ou moins raisonnée dont on peut calculer les raisons et dont on peut donc prévoir aussi l'avenir. Le temps... le temps de l'histoire avec son modèle déjà chez Kant comme l'histoire d'un progrès de l'humanité, puis l'histoire d'un accomplissement avec Hegel, et avec Marx l'histoire d'un progrès avec son propre accomplissement dans la plénitude de ce que Marx appelle l'homme total, toute cette histoire provient du christianisme.

Toute cette temporalité historique, elle est apparue à un certain moment, dans un certain «maintenant», on pourrait dire, et ce «maintenant», je dirais, c'est le «maintenant» du christianisme commençant entre Saint Paul et les évangiles. Pour quoi? Parce que Saint Paul est celui qui écrit que les enfants d'Abraham, ceux qui sont désignés dans la promesse faite à Abraham ,ne sont pas les enfants de sa chair, les enfants engendrés par lui, les enfants de son sperme comme dit le texte de Paul, ce ne sont pas eux les vrais enfants de la promesse, les enfants de la promesse sont les enfants de la promesse elle-même, dit Saint Paul et cette promesse, il la nomme, avec le mot grec, ercayyeJaa (épanguélia).

Epanguélia c'était un mot grec qui vient du mot persan angelos, dont nous avons fait l'ange. L'angelos c'est le messager, c'est celui qui apporte les nouvelles. L'épanguélia c'est l'annonce... celle qui promet en annonçant une descendance «nombreuse comme les étoiles».

Un peu après Saint Paul, très peu après vont être écrits les évangiles. Evangile qui est la forme francisée moderne de Evan-gélion, c'est-à-dire la bonne nouvelle. La même racine d'angelos est passée d'épanguélia à evangélion, la bonne nouvelle. Qu'est-ce que ça veut dire? Ça veut dire que dans l'évangile, l'annonce se met à avoir un contenu: elle est bonne, elle désigne le bien, elle désigne ce bien comme. comme devant venir, devant être réalisé, comme, donc, annoncé, promis à tous. Et bien, je dirais que toute l'histoire de l'Occident est traversée de de la division entre les deux, si vous voulez, entre l'épanguélia et Y evangélion, entre la promesse, comme ouverture indéfinie, sinon infinie, et la promesse, comme sorte d'assurance d'un accomplissement, et l'assurance d'un accomplissement. C'est ce qui va donner l'histoire et l'histoire conçue comme progrès vers la réalisation justement d'un bien, d'un bonheur, d'un bien - vous savez bien, l'évangile dit «bienheureux celui qui. etc., etc..». Ce bienheureux finit par devenir l'image d'un bien-être, d'un bien vivre. Comment cela a pu être une, comment dire, une transformation de ce qui est dit dans l'évangile, c'est une autre question, mais pour le moment ce que je veux retenir c'est la possibilité de désigner un bien à venir.

Tandis que de l'autre côté, il y a cette dimension de la, je dirais presque, de la promesse pure, c'est-à-dire de ce que j'ai essayé de vous montrer comme étant la véritable plénitude d'un présent en tant qu'il se reçoit comme la possibilité de se faire signe de soi-même et donc possibilité d'une venue de soi-même au-delà du soi-même du. justement, du «maintenant».

Or —et c'est là ... c'est là-dessus que je vais conclure— nous sommes aujourd'hui, nous sommes dans un moment, nous sommes dans le «maintenant» de l'histoire d'aujourd'hui et de l'histoire du monde entier -puisque l'histoire occidentale est devenue mondiale. Et c'est un «maintenant» dans lequel nous ne pouvons plus penser dans la dimension d'une histoire progressive qui va vers un bien final de l'humanité. Au contraire, nous avons l'impression que nous allons de plus en plus vers une catastrophe; peut-être cette impression n'est elle-même que le revers de l'impression ancienne du progrès, mais il n'empêche... il n'empêche que partout de quantités de manières, l'idée même de progrès pose problème: progrès scientifique, progrès technique, pour ne rien dire du progrès moral, du progrès. je ne sais pas . intellectuel, artistique.

Nous sommes... nous sommes là dans un moment qui, je crois, n'est pas du tout un moment de crise, c'est un moment de mutation complète et cette mutation est aussi forcément une mutation du temps, une mutation de la temporalité dans laquelle nous sommes; et notre «maintenant» aujourd'hui est je crois un maintenant qui nous fait signe, justement, vers l'ambiguïté du signe de l'appel ou de la promesse qui ouvre à l'avenir. L'ambiguïté entre un présent qui se donne et un futur présent qu'on veut produire.

De même, d'ailleurs, que vers l'ambiguité du «signe du rappel»: nous sommes aussi à un moment où nous devons nous demander: faut-il nous rappeler ce qui a été? Faut-il rappeler? Réanimer? Raviver des... des valeurs? C'est ce que dit souvent tout un discours sur la perte des valeurs, la dégradation des valeurs... Et ce discours, d'une certaine façon, s'étend aujourd'hui parce que l'avenir semble tellement fermé ou obscur ou confus que la seule réaction, la plus... la plus évidente, la plus immédiate, c'est de se retourner vers du passé, mais le passé lui-même échappe, surtout qu'il est de plus en plus le passé qui nous a conduits là où nous en sommes. Donc. donc, je crois que nous sommes. nous sommes suspendus, je dirais, entre épanguélia et evangélion.

Le dernier évangile a été peut-être celui de Marx. Marx a promis. il a promis, je crois au sens le plus vrai, le plus juste de la promesse, parce que justement Marx ne s'est pas engagé à un accomplissement, il n'a pas pris de contrat. Marx, il a entrevu quelque chose qu'il a appelé «la propriété individuelle», c'est-à-dire, comme il le dit lui-même ni la propriété privée ni la propriété collective.

Qu'est-ce que ça veut dire la propriété individuelle? Ce n'est pas du tout, une question de propriété de bien. Je crois que dans l'expression «propriété individuelle» —que Marx lui-même n'explique pas vraiment, mais qu'on peut essayer d'analyser à travers lui— il y a l'idée, au contraire, que l'individu, que chacun, chaque sujet devienne le plus proprement ce qu'il est, ce qu'il peut-être. Qu'est-ce que c'est qu'être proprement soi-même? Qu'être proprement quelqu'un, quelqu'une? Mais ça n'est rien d'autre que ce que je vous disais en commençant, c'est être «maintenant» dans la possibilité, je dirais, d'habiter son «maintenant», d'être vraiment «maintenant» dans la possibilité de se faire «signe»: signe de «rappel», signe «d'appel» ou le signe de «promesse», peut-être dans les deux sens du mots mais. mais. mais pas dans un seul sens, pas dans un sens unique. C'est peut-être ça le sens de cette sorte de promesse, si vous voulez, de Marx.

C'est-à-dire qu'il s'agit en fait moins d'un nouveau «bien» (bonheur, etc) à conquérir, que peut-être plutôt de la transformation d'un «signe» qui s'est déjà renouvelé de plusieurs manières à travers notre histoire.

C'est un «signe» qui touche profondément, très profondément, à la question du temps. C'est un signe qui nous indique: le temps n'est pas un élément dans lequel nous sommes pris et entraînés et dont nous voudrions bien souhaiter qu'il y ait une direction et qu'il aboutisse à un bien final, non! Le temps c'est nous, le temps c'est le. le «signe», si vous voulez, de l'humanité en tant que l'existence qui est au milieu de toutes les autres existences et comme pour tous les autres existants: pour eux au sens où cette existence (la nôtre) est en charge en quelque sorte de recevoir la possibilité de ce «maintenant» en tant que ce «à partir de quoi» s'ouvre, je dirais, le possible et l'impossible, c'est-à-dire chaque fois le fait qu'il y ait tout cela: le monde, les existences, et le langage pour dire «maintenant, voici...».

Je vous remercie.


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Barranquilla (Colombia)
2015
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